Marjan Mozetich: The Complete Piano Music
Il y a quelque chose de profondément révélateur dans la manière dont un compositeur s’exprime au piano seul. Privé de l’orchestre, de ses couleurs expansives, privé même des textures chorales ou des cordes qui ont fait la renommée de Marjan Mozetich, l’instrument devient une forme de laboratoire intime. The Complete Piano Music, enregistré par le pianiste canadien Jeremy Samolesky, offre cette plongée rare dans le cœur sonore d’un compositeur que l’on associe volontiers à la New Simplicity canadienne, au lyrisme atmosphérique, aux longues lignes orchestrales et au charme mélodique quasi cinématographique. Ici, tout se condense : le style, les tensions harmoniques, les élans romantiques et même les éclats minimalistes apparaissent dans leur nudité essentielle.
La première surprise de ce disque tient à la diversité des écritures. Mozetich n’a jamais été un compositeur “d’un seul geste”, et ces pièces – composées sur plusieurs décennies – le montrent clairement. Les premières œuvres, comme la Prelude ou l’Adagietto issues des Three Pieces, portent encore la marque d’un post-romantisme retenu, une sorte de nostalgie lumineuse qui annonce déjà les courants lyriques de son style ultérieur. Samolesky les aborde avec une élégance non démonstrative, presque chambriste : un toucher lumineux, une pédale toujours maîtrisée, un refus de l’épate. Il impose d’emblée l’idée que cette musique, pour respirer pleinement, doit être jouée avec transparence plutôt qu’avec emphase.
Plus loin, des pièces plus tardives comme At the Temple ou Tremors montrent un Mozetich plus audacieux, flirtant avec des ostinatos rythmiques ou des couleurs quasi méditatives, proches de Pärt ou de Louie mais avec cette douceur harmonique typiquement mozétichienne. Là encore, Samolesky excelle : son jeu est clair, analytique, mais jamais sec. Il garde une dimension chantante même dans les passages les plus motorisés. On sent un pianiste qui connaît parfaitement le terrain, qui respecte les lignes mais ose les éclairer par une respiration personnelle.
La réussite majeure de cet enregistrement tient peut-être dans ce dialogue entre la clarté du pianiste et la limpidité du style de Mozetich. Là où certains interprètes auraient cherché à “romantiser” la musique pour combler son apparente simplicité, Samolesky fait exactement l’inverse : il laisse les structures parler, il éclaire les transitions, il révèle la sophistication discrète des textures. Dans les passages lents, il installe un climat presque suspendu ; dans les moments plus virtuoses, il privilégie la précision à la vitesse. Résultat : une lecture d’une grande probité, qui révèle l’architecture plutôt que la surface.
L’album est court (environ quarante minutes), mais cette concision joue en sa faveur. Il se parcourt comme un carnet d’esquisses abouties, un portrait miniaturisé d’un compositeur qui, même lorsqu’il écrit pour un instrument unique, ne renonce jamais à la mélodie, à la lumière ni à une certaine spiritualité sécularisée. On découvre un Mozetich plus intérieur, parfois fragile, mais toujours capable de créer des climats hypnotiques avec trois notes et un souffle d’harmonie.
Avec The Complete Piano Music, Jeremy Samolesky signe non seulement un premier enregistrement mondial d’un corpus encore méconnu, mais surtout une véritable mise en lumière d’un versant trop souvent oublié de l’univers mozétichien. C’est un disque nécessaire, fin, rigoureux, et surtout profondément musical. Pour qui connaît le Mozetich orchestral, c’est un retour aux sources. Pour qui le découvre, c’est une porte d’entrée idéale : celle d’un piano où la simplicité n’est jamais facile, et où chaque note porte la trace d’un compositeur qui a choisi, depuis longtemps, la voie de la clarté émotionnelle.
Favorites
I. Through The Temple Gate
Supplication
IV. Through The Temple Gate