Jeremy Samolesky
Dans le paysage foisonnant des pianistes nord-américains, certains artistes avancent sans bruit, mais avec une constance, une intégrité et un raffinement qui finissent par imposer le respect. Jeremy Samolesky fait partie de ces musiciens dont la carrière, loin des effets d’annonce, se construit dans le juste équilibre entre la scène, la transmission et la recherche d’un style personnel. Pianiste canadien formé aux États-Unis, aujourd’hui professeur de piano et de musique de chambre à Auburn University en Alabama, Samolesky s’est forgé une réputation de musicien solide, analytique et profondément investi, capable de faire dialoguer tradition et modernité sans jamais tomber dans l’affectation.
Au premier contact, ce qui frappe dans son jeu est la clarté : une transparence des plans sonores qui refuse la lourdeur, une articulation précise, une conception du timbre où chaque voix trouve sa place. Samolesky aborde le piano comme un instrument polyphonique avant tout, presque orchestral, où la main gauche n’est jamais un simple soutien mais une voix complémentaire, souvent chantante. Cette attention à la structure lui confère une autorité tranquille dans le répertoire classique — Mozart, Beethoven, Schubert — mais aussi une grande aisance dans les écritures plus texturées du XXᵉ siècle.
La discipline intellectuelle de son approche est cependant toujours tempérée par une sensibilité réelle : ses Chopin évitent le rubato décoratif au profit d’une respiration organique, ses Debussy privilégient la ligne plutôt que la brume, et son Ravel s’inscrit dans un équilibre tendu entre brillance et sobriété. Samolesky n’est pas un pianiste de la démesure, mais un artisan de l’écoute intérieure, un sculpteur du détail expressif.
Sa carrière, largement ancrée dans le monde universitaire, lui a permis de développer une grande polyvalence. Chambriste recherché, il collabore régulièrement avec violonistes, clarinettistes ou ensembles à cordes, et son travail en duo — notamment dans Dynamics: Music for Two Pianos — dévoile une finesse rythmique et une précision d’ensemble qui rappellent combien il aime la conversation musicale. Enseignant reconnu, impliqué dans la Music Teachers National Association, il forme une génération de jeunes pianistes pour lesquels il incarne un modèle de rigueur, d’ouverture et de curiosité.
Cette curiosité se manifeste également dans son intérêt pour les compositeurs contemporains, en particulier canadiens. Samolesky a défendu des œuvres de Marjan Mozetich, d’Alexina Louie, de John Estacio et d’autres créateurs pour lesquels il sert souvent d’ambassadeur dans le sud des États-Unis. Son interprétation de Affairs of the Heart ou d’extraits de Postcards from the Sky révèle une affinité naturelle avec cette esthétique postmoderne, lyrique et texturée : son jeu, lumineux et net, s’accorde idéalement à ces climats oscillant entre méditation et effusion.
Paradoxalement, cette position à la croisée des chemins — entre l’université et la scène, entre classicisme et modernité, entre Canada et États-Unis — confère à Jeremy Samolesky une identité parfaitement cohérente. Il appartient à cette lignée de musiciens pour lesquels le spectacle n’est jamais l’objectif premier : sa priorité est le texte musical, scruté avec probité, rendu avec honnêteté, et transmis avec une conviction tranquille. Sa carrière n’en est que plus précieuse : un exemple d’intégrité artistique, de continuité et de profondeur.
Dans un monde où l’on confond souvent virtuosité et visibilité, Samolesky rappelle une évidence devenue rare : la musique ne demande pas seulement d’être jouée, mais aussi d’être pensée, comprise, éclairée. C’est précisément ce qu’il offre, patiemment, œuvre après œuvre, étudiant après étudiant, concert après concert : une manière de faire du piano un lieu de clarté — et peut-être même, pour ceux qui l’écoutent attentivement, un lieu de vérité.