Memoryhouse

  • FatCat Records / BBC Philharmonic Orchestra, 2002 (réédition 2009)

  • Durée : 63 minutes

Dans l’histoire des musiques contemplatives de l’après-2000, Memoryhouse de Max Richter tient une place à part. Non pas seulement comme premier album du compositeur germano-britannique, mais comme une sorte de matrice sonore d’où émergeront les thèmes, textures et tensions qui irrigueront l’ensemble de son œuvre. C’est un disque fondateur, à la fois dans sa trajectoire personnelle et dans celle du courant dit “néoclassique”, alors encore mal défini.

Composé en 2001 et interprété par le BBC Philharmonic Orchestra, Memoryhouse frappe d’abord par son audace formelle. C’est une œuvre pour orchestre, piano, électronique, archives radiophoniques, voix parlées — un mélange qui pourrait tomber dans le collage illustratif, mais qui ici sublime le fragment, déplace la narration et convoque la mémoire collective comme territoire sonore. Loin d’un journal intime, Memoryhouse est un album-document, hanté par les secousses du XXe siècle : les guerres, les exils, les blessures intimes et politiques de l’Europe.

Le titre est bien choisi : Memoryhouse est une architecture mentale — un espace fragile et mouvant où passé et présent s’entrechoquent. Dès les premières mesures de Europe, After the Rain, un piano parcimonieux s’installe sur une nappe de cordes désolée. Puis la voix d’une speakerine soviétique surgit, grésillante, comme un fantôme du siècle précédent. Richter ne cherche pas à illustrer l’Histoire ; il la rêve, la ressuscite, la déréalise. Il transforme l’archive en émotion brute, en “souvenir de souvenir”.

Certaines pièces comme Sarajevo ou The Twins (Prague) atteignent une intensité bouleversante. Le traitement orchestral est ici d’une dignité profonde, jamais démonstrative. On pense parfois à Górecki, parfois à Arvo Pärt — mais aussi à des paysages cinématographiques : les travellings lents de Tarkovski, les silences de Kieslowski. La musique de Richter prend le temps. Elle installe une liturgie laïque, une forme de deuil suspendu dans des couches de cordes, de silences vibrants, d’échos intérieurs.

Mais Memoryhouse n’est pas que solennel. Des moments d’apaisement, voire de grâce, percent par endroits — Fragment, Return to Prague, ou Andras. Des séquences électroniques discrètes, en arrière-plan, apportent une modernité sourde, presque invisible, mais essentielle. On devine ici les premiers contours de ce que sera plus tard Sleep ou The Blue Notebooks : une musique poreuse, ouverte, habitée par la tension entre intime et universel.

La réédition de 2009 a redonné à ce disque la visibilité qu’il méritait. Car à sa sortie en 2002, Memoryhouse est resté marginal, presque confidentiel. Il faut dire qu’il arrivait avant l’heure, dans une époque encore dominée par les dichotomies strictes entre “musique contemporaine” et “pop intelligente”. Or Richter, lui, efface les lignes. Il joue dans les interstices : entre concert et installation, entre récit et sensation, entre mémoire et abstraction. En définitive, Memoryhouse est une œuvre qui ne cherche ni le choc ni la prouesse. Elle s’installe doucement, s’adresse au souvenir, à la lenteur, à l’oubli aussi. Un disque à écouter la nuit, ou dans l’épaisseur d’un après-midi silencieux. Un album qui ne vieillit pas, parce qu’il porte en lui le poids du passé, mais avec une lumière qui ne cesse de revenir.

Favorites

Europe, After The rain

Sarajevo

Novembre

Arbenita

Landscape With Figure


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