Nils Frahm - Live at the Philharmonie de Paris
Lieu : Grande Salle Pierre Boulez, Philharmonie de Paris, France
Capacité : 2 400 personnes assis, 3600 debout
Date du concert : 21 mars 2024
Setlist :
Harmonium in the Well
Enters
Music for Animals
Briefly
Spells rework (unreleased)
Hammers
Public : Sold out
Ce concert de Nils Frahm la Philharmonie de Paris, dans ce qu’on peut considérer comme l’une de ses représentations les plus abouties, tant sur le plan technique que sur celui de la composition. L’ambiance dans la grande salle de la Philharmonie est d’abord celle d’une attente contenue — un murmure, des lumières tamisées, le public qui entre, qui s’installe, comme s’il savait déjà que ce qui va suivre ne sera pas ordinaire. Frahm sait préparer l’espace : les silences, les respirations, le décor sonore. L’acoustique de la Philharmonie joue ici un rôle central. Elle n’est pas seulement un écrin, elle devient presque un instrument. Les réverbérations, les harmoniques, la manière dont le son se diffuse dans les voûtes de la salle lui donnent une ampleur particulière. Les notes de piano s’étirent, résonnent, oscillent entre clarté et flou, comme si elles étaient souvent suspendues.
Le jeu de Frahm : entre rigueur et improvisation
Ce qui impressionne chez Frahm, c’est sa capacité à marier une écriture presque méticuleuse avec des espaces d’improvisation très bien maîtrisés. Le concert ne se contente pas de rejouer des morceaux, il les raconte autrement, les réagence, les module selon le moment, l’atmosphère, la salle. On sent que chaque transition est pensée pour que le public suive un voyage — pas seulement une suite de pièces. Des morceaux de son dernier album Day sont mêlés aux classiques de son répertoire, mais toujours dans un continuum. On passe du piano pur à l’électronique discrète, aux synthés, parfois à des instruments plus inattendus — par exemple la glass harmonica — qui apportent une texture nouvelle, fragile, presque éthérée. Certaines pièces se détachent particulièrement :
Spells : un moment suspendu, construit progressivement, jouant avec la dynamique. On passe du presque silence à une tension mélodique subtile, avec des percussions ou des effets qui émergent petit à petit. Ce morceau incarne à lui seul ce que l’on attend d’un Frahm live : le crescendo dramatique, mais sans forcer, sans vulgarité.
Hammers : pour beaucoup le sommet du concert. Dans cette pièce, la puissance expressive atteint un pic — le piano se libère, les accords martelés, la mélodie qui monte, les nuances fortes et faibles qui dansent l’une avec l’autre. Il y a presque une catharsis, un moment où l’émotion pure prime.
D’autres morceaux plus contemplatifs ou minimalistes, moins spectaculaires sur le plan dramatique, mais essentiels : ils laissent le temps à l’auditeur de respirer, d’entrer dans la matière sonore, de percevoir les micros variations, les silences, les résonances. Ce sont eux qui donnent la profondeur de l’expérience.
Dans l’ensemble, le concert est une réussite majeure. Il offre ce que beaucoup attendent de Nils Frahm : une expérience totale, immersive, où le temps semble étiré, où le son vous enveloppe et vous transporte. Il y a une cohérence artistique, une vision. On sort de la salle avec cette impression d’avoir été touché plus que diverti, d’avoir été invité à un voyage intérieur autant qu’écoute musicale. La mise en scène sonore, le choix des morceaux, l’alternance entre moments de tension et instants de grâce — tout cela est soutenu par une technique remarquable : excellente maîtrise du piano, des instruments électroniques, des effets de spatialisation, du silence. Et la Philharmonie se révèle un hôte à la hauteur, tant pour la qualité architecturale que sonore. C’est sans doute un des moments forts de la saison, pour tous ceux sensibles à la beauté lente, à l’intensité discrète, au mélange des mondes — acoustique/electronique, silence/son, introspection/sublime.