Arias Opéra

Arias Opéra est une traversée de la voix — non pas comme simple instrument, mais comme état de l’âme. Elle met en regard deux mondes que tout semble séparer : celui de l’opéra tragique et celui du lyrisme contemporain, où Brad Mehldau, Renée Fleming et Anne Sofie von Otter poursuivent, autrement, le même dialogue entre la chair et l’invisible. Le fil conducteur n’est pas le style, ni même le siècle : c’est la voix féminine comme force de dévoilement, capable de transfigurer la douleur en beauté.

Les premières plages sont habitées par Maria Callas, dont chaque note semble traversée par une lucidité tragique. Dans Carmen, Samson et Dalila, Manon Lescaut ou Madama Butterfly, elle ne chante pas un rôle : elle le consume. Callas est cette frontière mouvante entre la virtuosité et la vérité nue. Sa voix, plus expressive que pure, plus humaine que belle, donne au drame une profondeur inédite. On y entend le souffle, la lutte, le poids du destin. Sa “Habanera” ne séduit pas : elle dévore. Et quand elle murmure “Sola, perduta, abbandonata”, c’est tout l’art lyrique qui semble se défaire en une plainte universelle.

Les voix du seuil : entre lyrisme et intériorité

Mais la transition vers Brad Mehldau et Renée Fleming ne rompt pas la magie : elle la prolonge dans une autre langue. Dans Love Sublime, le piano de Mehldau épouse les vers de Rilke comme un prolongement de la respiration humaine. La voix de Fleming, limpide et intérieure, ne cherche pas le drame mais la lumière tremblée derrière le mot. Ces pièces ne sont plus des arias, mais des prières suspendues : l’opéra devient ici méditation, le chant se dépouille jusqu’à n’être qu’une vibration pure. Entre les harmonies impressionnistes du piano et la diction presque religieuse de la soprano, on retrouve le même vertige qu’avec Callas — mais inversé : là où Callas s’abandonne à la flamme, Fleming s’absorbe dans la transparence.

Puis vient Anne Sofie von Otter, complice de Mehldau dans Dreams. Sa voix, plus mate, plus terrestre, porte cette gravité douce qui fait d’elle une interprète rare : elle ne cherche pas à s’élever, mais à habiter le silence. Le jazz de Mehldau devient alors chambre d’écho à la solitude humaine, comme si Schubert rencontrait Bill Evans au seuil du rêve. La fusion des genres, ici, n’a rien de conceptuel : elle est organique, naturelle, évidente.

Enfin, Arias Opéra s’achève dans un retour à l’émotion pure : Wilhelmenia Wiggins Fernandez dans La Wally et Ave Maria, dirigée par Vladimir Cosma. C’est le point d’orgue d’un parcours où la voix retrouve son rôle premier : dire l’indicible. “Ebben? Ne andrò lontana” résonne ici comme une conclusion symbolique — un adieu au monde, une promesse d’ailleurs. On comprend alors que tout, depuis Callas jusqu’à Fleming, n’était qu’une longue préparation à ce moment suspendu, où la voix, enfin, se tait dans la lumière.

Ce qui fait la cohérence de Arias Opéra, c’est qu’elle met en scène la métamorphose de la passion en intériorité. Callas brûle, Fleming contemple, von Otter médite, Wiggins Fernandez s’élève : quatre visages d’un même mystère. À travers elles, on entend l’évolution de notre rapport au chant — du geste héroïque à la confidence, de la scène à la chambre, du cri à la résonance.

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