Blues, Blues & Blues
Voici une liste traversée de blues au sens large — du Delta moite aux bords électriques du rock psychédélique, en passant par des clubs urbains où la sueur, la bière et les riffs s’entrelacent. Mais plus encore, la liste tisse une toile sociale : celle des laissés-pour-compte, des désillusionnés, des vivants fatigués mais indociles.
Le fil rouge, ici, n’est ni la virtuosité ni l’histoire : c’est l’attitude, l’élan cru d’une musique qui refuse de polir ses angles. On est dans le blues de l’âme cabossée, mais sans jamais tomber dans le passéisme. Au contraire : cette playlist regarde le monde droit dans les yeux, et lui répond par un groove tendu, rugueux, souvent ironique.
La parole de Mighty Mo Rodgers : griot contemporain
Impossible de passer à côté de la voix centrale de Mighty Mo Rodgers, omniprésente et essentielle. Sa musique est un blues parlé, engagé, parfois sarcastique, toujours conscient. "I Believe in Evolution" ou "Money Can't Buy You Class", par exemple, sont à la fois des pamphlets sociaux et des mantras de résistance intérieure.
C’est un blues “pensé” mais ancré dans le groove. On pense à Gil Scott-Heron, à John Lee Hooker, à Zappa parfois — une parole libre qui ne cherche ni l’adhésion, ni la complaisance. Elle creuse dans la réalité contemporaine, mais avec la sagesse grinçante de celui qui a déjà tout vu.
Des détours soniques
L’apparition de Uriah Heep, avec "Lucy Blues", ou The Moving Sidewalks, montre que le blues ici n’est pas contenu dans ses limites traditionnelles. Il s’électrise, s’étire, se psychédélise — et même quand il est instrumental (comme chez Derek Trucks ou Doug MacLeod), il reste une conversation entre les nerfs et l’invisible.
Des morceaux comme "Bottom of a Bottle", "Saint Louis On My Mind" ou "Crow Jane" apportent chacun un climat différent : tantôt mélancolique, tantôt rageur, tantôt presque mystique. Le blues devient une langue fluide, un prisme à travers lequel on peut lire aussi bien la solitude que la lutte ou l’abandon amoureux.
Un blues au présent
Cette playlist évite les clichés du "vieux blues poussiéreux". Elle garde les racines, mais regarde le monde d’aujourd’hui : inégal, désabusé, saturé d’écrans et de faux espoirs. Et face à cela, elle oppose une musique humaine, imparfaite, vivante.
C’est le blues d’un routier lucide ou d’un prophète fatigué — un blues qui sait que la beauté ne sauve pas, mais qu’elle redonne le goût de marcher, même quand on saigne.