Planum

Voyage lent, introspectif, hanté et lumineux à travers le dark ambient, le jazz spectral et le néoclassicisme postmoderne, cette playlist est un espace tissé à partir d’ombres et de silences. Il s’agit d’un paysage sonore lent, profond, grave où les genres se confondent : dark jazz, ambient néoclassique, minimalisme spectral, électronique organique et musique rituelle.

Dark jazz

Le cœur de la playlist bat au rythme lent et étouffé de Bohren & der Club of Gore, dont les morceaux (comme Prowler, On Demon Wings ou Ganz leise kommt die Nacht) incarnent ce qu’on appelle parfois le dark ou doom jazz — un jazz instrumental ralenti jusqu’à l’immobilité, où chaque note est une expiration, chaque silence une tension. Le saxophone devient soupir et l’ensemble évoque les films noirs les plus désincarnés ou les ruelles d’une ville oubliée. Dans la même veine, The Dale Cooper Quartet explore une ambiance proche : celle d’un jazz sans swing, vidé de sa légèreté, devenu chambre d’écho pour une solitude suspendue.

Ambient polaire

Aux côtés du jazz sombre, la musique ambient vient sculpter des paysages vastes et désolés. Biosphere, maître incontesté de l’ambient arctique, propose des morceaux comme Kobresia, Poa Alpina ou Chukhung : nappes texturées, battements glacés, textures organiques mêlées à des enregistrements de terrain. Ici, la nature est présente, mais comme rêvée : un monde sans humains, ou après eux. Harold Budd, parfois seul, parfois en compagnie de Brian Eno, incarne quant à lui une ambient mélodique et éthérée, d’une douceur mélancolique qui contrebalance les pièces plus sombres. The White Arcades ou Boy About 10 sont comme des pensées floues posées sur un piano au ralenti.

Élégies néoclassiques

La troisième colonne de cette playlist est celle du néoclassicisme contemporain, souvent teinté de musique sacrée ou rituelle. Des œuvres comme Path 5 (Delta) ou Dream 3 (In the midst of my life) de Max Richter, ou Flight from the City de Jóhann Jóhannsson, sont des pièces méditatives, souvent construites autour de motifs simples, répétitifs, comme des prières profanes. Le temps ne progresse pas, il tourne en spirale. Le sommet émotionnel de cette section est sans doute II. Lento e largo — Tranquillissimo de Górecki, dans l’interprétation bouleversante de Beth Gibbons et du Polish National Radio Symphony Orchestra sous la direction de Penderecki. On touche ici à une forme de sacré contemporain, à une plainte humaine universelle.

Fusions

Ce qui rend cette playlist singulière, c’est l’intégration de musiques hybrides, fusionnant traditions non occidentales et écritures modernes : Nuages de Ryuichi Sakamoto et Houria Aïchi mêle électronique subtile et chant berbère comme un chant de l’exil flottant dans l’espace. Laszlo Hortobágyi, avec Tuweirat-Hadra, introduit une dimension rituelle presque soufie, où la musique devient invocation, spirale, hypnose. Ce sont là des ponts entre civilisations, dans une esthétique résolument contemplative.

Dans son ensemble, cette playlist est une méditation sur l’absence, sur le silence, sur les choses qui passent. Elle est peuplée de murmures, de notes suspendues, de textures discrètes. On pourrait y entendre la bande-son d’un film de Tarkovski, d’un rêve de Wim Wenders, ou d’un monde après la fin du monde.

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