Bohème

Trois ans après le succès planétaire de leur premier album, Deep Forest revient en 1995 avec Bohème, un disque qui assoit leur place dans le paysage de la world électronique des années 1990. Là où le premier opus avait frappé par son caractère pionnier, Bohème confirme la formule et tente de l’élargir. On retrouve les ingrédients emblématiques du duo — nappes électroniques enveloppantes, rythmiques tribales, chants traditionnels samplés — mais cette fois avec un accent plus marqué sur les cultures d’Europe de l’Est et de la Méditerranée. 

Dès l’ouverture, l’auditeur est plongé dans une atmosphère à la fois mystérieuse et séduisante, où des voix venues d’ailleurs se mêlent à des orchestrations synthétiques. Le titre « Marta’s Song », avec la chanteuse hongroise Márta Sebestyén, est l’un des sommets du disque : il conjugue l’émotion brute du chant traditionnel et la fluidité d’un écrin électronique moderne. Ce morceau illustre parfaitement la démarche de Deep Forest : transformer le matériau ethnographique en une expérience sonore accessible et immersive. Par rapport au premier album, Bohème gagne en ampleur mélodique et en lyrisme. Les morceaux sont plus construits, parfois plus proches de la chanson, ce qui élargit leur portée auprès du grand public. La production est irréprochable : chaque détail sonore est sculpté avec soin, donnant au disque une richesse texturale qui séduit encore aujourd’hui. On sent la volonté d’installer Deep Forest dans une continuité artistique, non plus comme simple curiosité, mais comme acteur durable de la scène world/electro.

Cependant, les critiques adressées au premier album ne disparaissent pas. On reproche encore à Bohème une certaine exotisation des cultures, transformées en matériaux sonores décontextualisés. Le côté répétitif de la formule — alternance de voix traditionnelles et de nappes électroniques — peut aussi donner une impression d’uniformité sur la longueur du disque. De plus, certains auditeurs jugeront que le romantisme affiché (« bohème », au sens d’un imaginaire nomade et poétique) reste une construction occidentale plus fantasmée que fidèle. Malgré ces limites, Bohème demeure une œuvre marquante des années 1990. Il consolide l’identité sonore de Deep Forest, réussit à marier émotion et innovation technologique, et offre quelques titres inoubliables qui circulent encore largement aujourd’hui. En ce sens, l’album symbolise parfaitement l’ambiguïté du projet : à la fois pionnier et controversé, séduisant et problématique, mais toujours singulier dans sa manière d’évoquer l’ailleurs à travers l’électronique.

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