Spleen an Ideal

Sorti en 1985 chez 4AD, Spleen and Ideal marque une étape décisive dans l’histoire de Dead Can Dance. Si leur premier album éponyme (1984) restait encore imprégné de l’esthétique post-punk et gothique de l’époque, ce deuxième disque amorce une rupture : Lisa Gerrard et Brendan Perry y trouvent enfin leur véritable langage, une musique qui s’affranchit des codes rock pour s’ouvrir à l’intemporel et au sacré. Dès la pochette – une photographie de la carcasse d’un silo à charbon en ruine dans le port de Cork – on comprend que l’on entre dans un univers où la grandeur se mêle à la décrépitude. Le titre lui-même, inspiré de Baudelaire (Spleen et Idéal dans Les Fleurs du Mal), annonce cette oscillation entre mélancolie et aspiration à l’absolu. La musique reflète exactement ce mouvement : des chants solennels, des orchestrations quasi liturgiques, et une atmosphère de ruine majestueuse.

Les morceaux emblématiques comme De Profundis (Out of the Depths of Sorrow) ou Ascension ouvrent sur des nappes vocales qui évoquent les chœurs religieux anciens, tandis que des titres comme Circumradiant Dawn déploient un souffle mystique. Lisa Gerrard impose ici pour la première fois avec force sa voix unique, détachée de toute langue identifiable, comme un instrument en soi. À l’opposé, la voix de Brendan Perry, grave et incantatoire, ancre des pièces telles que Avatar ou Enigma of the Absolute dans une dramaturgie sombre, presque théâtrale. L’album se distingue par son instrumentation : violoncelle, trombone, timbales et percussions orchestrales remplacent peu à peu les guitares et les batteries du premier disque. Cela crée une densité sonore qui rapproche Spleen and Ideal plus de la musique sacrée ou médiévale que du rock alternatif de ses contemporains. C’est précisément ce tournant qui fera de Dead Can Dance un groupe inclassable, en marge des genres établis.

On peut certes reprocher à l’album une certaine emphase : parfois, l’accumulation de chœurs et de percussions frôle le pompeux. Mais c’est aussi ce qui lui donne son caractère unique : un mélange d’audace et de démesure qui ose viser le sublime. L’auditeur est happé dans une expérience plus qu’un simple enchaînement de chansons – un rituel sonore où chaque titre s’inscrit dans une dramaturgie globale. Spleen and Ideal est donc l’acte de naissance véritable du style Dead Can Dance : une musique qui ne cherche plus à suivre une scène ou un courant, mais qui trace sa propre voie, convoquant la mémoire des civilisations passées pour interroger le présent. C’est l’un de ces disques qui, quarante ans plus tard, conserve sa puissance de fascination et continue d’attirer de nouveaux auditeurs vers l’univers du groupe.

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Enigma of the Absolute


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