Schumann : Fantasia Op.17; Fantasiesctücke Op.12
Contexte
Réalisé en 1976 pour le label Sony Classical/Columbia Masterworks, puis réédité dans la série Sony Originals en 2011. Durée totale : environ 51 minutes, avec la Fantaisie en ut majeur (Op. 17) (~27 min) suivie des huit Fantasiestücke (Op. 12) (~24 min) .
Répertoire
Fantasia in C, Op. 17 (1836–39) : longue pièce en trois mouvements, œuvre phare du romantisme pianistique : passion, légende, méditation (en.wikipedia.org).
Fantasiestücke Op. 12 (1837) : cycle de huit pièces imprimant les figures d’“Eusebius” (rêveur) et “Florestan” (passionné), de la tendresse au feu dramatique (fr.wikipedia.org).
Interprétation
Fantaisie Op. 17
Argerich fait preuve d’une fluidité rhapsodique, d’un rubato généreux, teinté d’émotion — bien que quelques passages manquent parfois de grandeur comparée aux interprétations de Pollini ou Kissin
Fantasiestücke Op. 12
Considéré comme un des sommets de son art pianistique : tempos vifs, coloris expressifs, contraste vif entre les composantes rêveuse et fougueuse
Eric Sams souligne l’équilibre entre spontanéité romantique et rigueur structurée ; Argerich raconte littéralement l’histoire en musique.
Guide d’écoute
Fantaisie en do majeur, Op. 17
I. Durchaus phantastisch und leidenschaftlich vorzutragen
(Fantastique et passionné, absolument) — env. 12-15 min
0:00 — L’appel du cœur blessé
Un cri. Trois accords déchirants ouvrent l’œuvre : presque un sanglot. L’émotion est à nu. Schumann jette d’emblée l’auditeur dans une passion sans protection.La grande phrase lyrique s’élance ensuite comme un chant lointain, interrompu sans cesse par des ruptures, des syncopes, des sursauts : le cœur de Schumann bat avec violence.
Vers 3:00 — Émergence d’un rêve brisé
Un thème plus doux apparaît, mais c’est un rêve instable. Il se brise sur des rochers harmoniques. On y sent le souvenir de Clara, mais déjà voilé par l’absence.Milieu du mouvement — Tourments et vertiges
Schumann monte, descend, revient, s’exalte, puis s’effondre. C’est la forme du désir lui-même, non linéaire. Le piano est traité ici presque comme un orchestre à lui seul : on entend des timbales imaginaires, des cors intérieurs.Vers 9:00 — La citation de Beethoven (subreptice)
Schumann intègre très discrètement un fragment du lied "An die ferne Geliebte" (chanté par le piano). Le message : “reçois donc ces chants”. Il ne le dit pas à l’auditeur, mais à Clara.Derniers instants — Retombée dans le silence
Tout s’éteint, non résolu. L’amour ne trouve pas de repos. Le thème initial revient, plus désespéré, puis s’efface.
II. Mäßig. Durchaus energisch
(Modéré, toujours énergique) — env. 7-8 min
0:00 — L’ironie guerrière
Un rythme en marche, presque militaire. Mais chez Schumann, tout est double : est-ce une parade ? une moquerie ? une fuite en avant ? Les octaves bondissent, le piano devient percussion.Le défi technique est ici immense : traits d’octaves, staccatos, changements de dynamique soudains. Pourtant, ce n’est jamais une démonstration : le rythme est nerveux, instable. Une joie crispée.
Trio central — Une respiration ?
Un épisode plus fluide, comme un ruban qui se déploie au-dessus d’un sol plus stable. Mais ce répit est bref : très vite, la rythmique reprend, plus énergique, comme pour conjurer l’angoisse du 1er mouvement.Final — Explosion et rupture
Le scherzo s’achève brusquement. Ce n’est pas une conclusion, mais une échappée sans solution.
III. Langsam getragen. Durchweg leise zu halten
(Lent, soutenu. À jouer toujours doucement) — env. 9-10 min
0:00 — Une berceuse cosmique
Le thème s’élève comme une prière dans le silence. Les harmonies sont simples, transparentes, comme si Schumann s’agenouillait devant un mystère qu’il ne comprend plus.Le piano devient souffle : rien de brillant, rien d’extraverti. La ligne mélodique semble flotter au-dessus du monde.
Vers 3:00 — Larmes retenues
Les harmonies se troublent, comme si le chant s’enlisait. Il ne s’agit plus de convaincre Clara. Il ne s’agit plus de s’adresser à elle. Il ne reste que le souvenir, et l’amour persistant malgré tout.Vers 6:30 — Élévation finale
Le thème revient, plus dépouillé, comme transfiguré. Les dernières pages se déroulent dans une lumière diaphane, presque irréelle. Comme si, au-delà de la souffrance, restait la beauté nue.Dernier accord — Murmure d’adieu
Un simple do majeur, pianissimo, comme un souffle qui expire. Rien de triomphant. Mais tout est dit.
Critiques
Classics Today la qualifie de lecture très personnelle et inspirée, à acquérir sans hésiter. Certains aspects en font des points forts : un son chaleureux et sans souffle. Fantaisie Op. 17 Interprétation nuancée, passionnée, bien qu’un brin moins grandiose que ses pairs Fantasiestücke Op. 12 Lecture flamboyante, contrastée et pleine d’imagination — un sommet argerichien. Si vous cherchez une interprétation à la fois fougueuse, poétique et imprégnée de personnalité — particulièrement dans les Fantasiestücke — cet album est un incontournable. La Fantaisie, elle, séduira ceux sensibles à la liberté expressive d’Argerich, même si des versions plus « monumentales » existent ailleurs.
Favorites
I. Durchaus phantastisch und leidenschaftlich vorzutragen
III. Langsam getragen. Durchweg leise zu halten