Let’s get happy togheter
La Nouvelle-Orléans retrouvée
Près de cinquante ans après Midnight at the Oasis, Maria Muldaur revient en 2021 avec un disque d’une vitalité désarmante : Let’s Get Happy Together. À 78 ans, la chanteuse s’offre un retour aux sources de la musique américaine en s’associant à Tuba Skinny, formation de rue originaire de la Nouvelle-Orléans, réputée pour son jeu acoustique et son authenticité. Le résultat est un petit miracle : un album joyeux, plein d’esprit, qui ressuscite le jazz et le blues des années 1920–1930 sans jamais verser dans le pastiche.
L’idée du projet est simple et lumineuse : revisiter un répertoire de chansons populaires chantées à l’origine par des femmes pionnières du blues et du vaudeville — Valaida Snow, Sweet Pea Spivey, Victoria Spivey, et bien sûr Sippie Wallace, que Muldaur considère depuis longtemps comme une figure tutélaire. Ces chansons malicieuses, souvent pleines de double sens, sont autant de portraits d’une féminité libre, drôle et provocante, bien avant que le mot “féminisme” ne s’impose dans le discours culturel.
Dès les premières mesures du morceau-titre “Let’s Get Happy Together”, on retrouve ce ton enjoué et ce swing de trottoir typique du vieux New Orleans jazz. La tuba, la clarinette et le banjo tissent un tissu sonore à la fois brut et chaleureux, pendant que la voix de Maria — voilée, espiègle, mais toujours juste — glisse entre les cuivres avec une aisance confondante. Ce qui frappe ici, c’est la fraîcheur d’une artiste qui n’a plus rien à prouver, mais qui chante encore avec la curiosité d’une débutante.
L’album sonne comme une célébration de la transmission : les musiciens de Tuba Skinny, tous bien plus jeunes qu’elle, jouent avec une énergie contagieuse, tandis que Muldaur se glisse dans leur orchestre comme une vieille amie venue raconter l’histoire du blues. Il n’y a pas de hiérarchie, pas de soliste-roi : c’est un dialogue permanent entre générations, où le swing devient langage commun.
Parmi les perles du disque, on trouve “He Ain’t Got Rhythm”, “Road of Stone” et “I Go for That”, petites comédies sonores pleines de clin d’œil et de groove, où la chanteuse met en avant le caractère théâtral de ce répertoire — quelque part entre Bessie Smith et Fats Waller, entre le cabaret et la fanfare. Tout l’album garde un ton de fête populaire, mais empreint d’une nostalgie lumineuse : celle d’une Amérique où la musique était avant tout un moyen de se rassembler.
Let’s Get Happy Together est sans doute l’un des disques les plus sincères et réussis de la dernière période de Maria Muldaur. Il prolonge la démarche qu’elle avait amorcée avec Richland Woman Blues (2001) et Naughty, Bawdy & Blue (2007), mais avec un accent plus collectif, plus incarné. À travers lui, elle boucle une boucle : celle d’une vie dédiée à faire vivre les voix féminines oubliées du blues et du jazz, en leur offrant un écho contemporain.
On sort de ce disque avec un sourire. C’est une musique simple, mais chargée de mémoire ; un swing de trottoir où la joie n’exclut jamais la profondeur. À l’heure où tant d’artistes cherchent la nouveauté, Maria Muldaur, elle, trouve l’éternité — en se souvenant.
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