Sweet and Slow

Avec Sweet and Slow, Maria Muldaur signe en 1998 un album d’une délicatesse rare, entièrement consacré à la redécouverte du jazz des années 1930 et 1940, celui qu’interprétaient alors Billie Holiday, Alberta Hunter, Peggy Lee ou Maxine Sullivan. Loin de la nostalgie, Muldaur y revisite ce répertoire avec une profonde connaissance du style et une grâce toute personnelle, empreinte de sensualité et d’humour. Le titre même annonce la couleur : la lenteur, le swing feutré, le goût du phrasé plutôt que de la démonstration.

Enregistré pour le label canadien Stony Plain, connu pour ses productions acoustiques soignées, l’album s’entoure d’un petit ensemble de musiciens d’exception : Dan Barrett au trombone et cornet, Jeff Hamilton à la batterie, Chris Flory à la guitare, Richard Davis à la contrebasse. Cette instrumentation légère évoque les clubs enfumés et les ballrooms de Harlem. La production, subtile et chaleureuse, met la voix de Maria au premier plan : un timbre patiné, légèrement râpeux, mais d’une expressivité constante, qui semble parfois murmurer plus qu’elle ne chante.

Le répertoire alterne entre standards et perles oubliées : “Cooking Breakfast for the One I Love”, “I’m Gonna Sit Right Down and Write Myself a Letter”, “Me and My Chauffeur Blues”, “Lover Man”, “Sweet and Slow” — ce dernier, morceau-titre, résume à lui seul l’esthétique du disque : tempo alangui, instrumentation minimale, voix au velours fauve. Maria y joue avec les mots et les silences, retrouvant ce lien entre sensualité féminine et humour léger qu’on entendait déjà chez les chanteuses de l’âge d’or du swing.

Ce qui frappe, c’est la maturité vocale de Muldaur à cette époque : loin du ton mutin de Midnight at the Oasis, elle adopte une interprétation plus intériorisée, pleine de retenue. On sent la musicienne aguerrie, passée par le blues, le gospel, la scène new-orleans, mais désormais tournée vers la relecture élégante d’un patrimoine vocal. Chaque morceau respire la complicité entre les musiciens ; rien n’est forcé, tout semble couler de source.

Sweet and Slow appartient à cette série d’albums (avec Jazzabelle et A Woman Alone with the Blues) où Muldaur s’affirme comme l’une des grandes interprètes du jazz classique féminin, à mi-chemin entre relecture historique et confession intime. Il marque aussi sa renaissance artistique après une période plus discrète dans les années 1980 : ici, elle retrouve son territoire naturel, celui du swing chaloupé et du blues teinté d’ironie.

En définitive, Sweet and Slow n’est pas seulement un hommage : c’est un chef-d’œuvre de style et d’équilibre, une célébration du jazz vocal comme art de la nuance et de la conversation. Un disque qu’on redécouvre volontiers aujourd’hui pour sa chaleur, sa lenteur assumée et cette façon unique qu’a Maria Muldaur de transformer la mémoire du blues en une caresse intemporelle.

Favorites

Sweet and Slow

Oh Papa

Loverman

Gee Baby, Ain’t I Got To You

Prelude to a Kiss


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Chopin. Preludes, Op. 28 and Sonata B flat minor, Op. 35