Loves Songs
Brad Mehldau, Anne Sofie von Otter
En 2010, quatre ans après Love Sublime avec Renée Fleming, Brad Mehldau poursuit son exploration de la voix et du répertoire poétique en composant un nouveau cycle : Love Songs, créé et enregistré avec la mezzo-soprano suédoise Anne Sofie von Otter. Publié chez Naïve, l’album rassemble des poèmes anglais contemporains (Sara Teasdale, Philip Larkin, E.E. Cummings, etc.) que Mehldau met en musique avec une sensibilité rare, entre héritage du Lied et langage jazz.
Suite ambitieuse
L’œuvre, composée de quatre cycles pour voix et piano, se déploie sur plus d’une heure. Chaque cycle explore une facette de l’amour : le désir, la mémoire, la perte, l’espoir. Mehldau a choisi des poètes qui se situent à la frontière du modernisme et de la poésie intime : des textes clairs, parfois ironiques, parfois déchirants, qui offrent à la musique une matière souple et nuancée. On retrouve ici une ambition similaire à celle de Schubert ou Schumann, mais transposée au XXIe siècle : un Lied contemporain, nourri de jazz, de romantisme et d’une écriture pianistique contrapuntique.
Anne Sofie von Otter
La mezzo-soprano apporte à ce projet une gravité et une chaleur très différentes de celles de Renée Fleming dans Love Sublime. Là où Fleming imposait une aura dramatique et lyrique, von Otter choisit la sobriété, la diction claire, l’expressivité intérieure. Elle chante presque « à hauteur d’homme », comme une narratrice qui raconte des fragments de vie. Cette retenue sert parfaitement les poèmes de Larkin, par exemple, dont l’ironie désabusée trouve un écho naturel dans une interprétation qui évite l’emphase.
Brad Mehldau
Le piano de Brad Mehldau se déploie dans toute sa richesse. Ses signatures stylistiques sont là : une main gauche obstinée qui construit un tapis rythmique, un contrepoint quasi-bachien, des harmonies parfois dissonantes mais toujours claires, une gestion du silence et des respirations qui rappelle ses improvisations solo. Pourtant, tout est mis au service de la voix. Le cycle ne sonne jamais comme une démonstration pianistique mais comme un dialogue égalitaire entre texte et musique.
Réception
Love Songs a été accueilli comme l’une des œuvres vocales les plus marquantes de Mehldau. Certains critiques y ont vu une tentative de réinventer le Lied au XXIe siècle, en le sortant de la sphère purement classique. L’album touche un public hybride : amateurs de Lied, curieux de jazz, auditeurs attirés par le mariage de poésie et de musique contemporaine. Ce projet illustre la volonté de Mehldau de ne pas se limiter au trio ou au piano solo, mais d’élargir son champ à une musique vocale ambitieuse, inscrite dans une tradition séculaire mais portée par une écriture résolument moderne. Comparé à Love Sublime, Love Songs est plus ample et plus cohérent : là où l’album de 2006 apparaissait comme une rencontre ponctuelle, celui de 2010 s’impose comme une œuvre pensée de bout en bout, un cycle complet. Il anticipe aussi le côté narratif et quasi-symphonique de Highway Rider (2010), paru la même année. Avec Love Songs, Brad Mehldau franchit une nouvelle étape dans sa carrière : celle d’un compositeur qui ne se contente plus de réinventer le trio de jazz ou d’explorer la pop revisitée, mais qui s’attaque à un genre classique majeur, le Lied, pour en proposer une lecture contemporaine. C’est une œuvre exigeante, parfois austère, mais d’une intensité poétique rare, où la voix et le piano se rejoignent dans une quête commune : dire l’amour sous toutes ses formes, dans sa lumière et ses ombres.
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