Brad Mehldau

Brad Mehldau, né en 1970 à Jacksonville (Floride), est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands pianistes de jazz de sa génération. Héritier assumé de la tradition (Bill Evans, Keith Jarrett, Lennie Tristano) tout en étant profondément ancré dans son époque, il a su bâtir un univers musical singulier, où cohabitent rigueur classique, improvisation foisonnante et un goût marqué pour les répertoires extra-jazz — du rock progressif aux musiques de Radiohead ou des Beatles.

Un langage singulier

Le style de Mehldau se reconnaît presque immédiatement : une main gauche obstinée, développant des motifs rythmiques ou harmoniques répétitifs, tandis que la main droite s’élance dans des improvisations aux contours lyriques, parfois sinueux, parfois abrupts. Il a hérité de Bill Evans la recherche d’une sonorité ronde et claire, mais aussi d’une architecture harmonique subtile. Pourtant, Mehldau dépasse l’héritage pour créer un langage qui lui appartient : un contrepoint presque « bachien », des ruptures rythmiques audacieuses, et une manière de faire coexister la fragilité mélodique et l’intensité dramatique. On sent chez lui la fréquentation assidue de la musique classique européenne, notamment Brahms, Schumann ou Bach, qu’il a souvent cités dans ses interviews et qu’il a intégrés jusque dans ses improvisations. Son jeu s’apparente parfois à une fugue jazz, à une construction polyphonique où chaque voix a son autonomie.

Le trio

C’est avec son trio — longtemps accompagné de Larry Grenadier (contrebasse) et Jorge Rossy (batterie), puis de Jeff Ballard — que Mehldau a conquis la scène internationale. Ses enregistrements des années 1990 et 2000 (Art of the Trio, Anything Goes, Day is Done) ont renouvelé la formule du piano trio en l’éloignant du simple swing pour en faire un espace de recherche et de narration. Le trio de Mehldau joue comme une entité organique, où chaque instrumentiste dialogue en temps réel, brisant la hiérarchie habituelle entre soliste et accompagnateurs. L’équilibre est parfait entre densité intellectuelle et intensité émotionnelle

Relectures

L’une des grandes forces de Mehldau est sa capacité à revisiter des répertoires inattendus. Ses relectures de Radiohead (« Exit Music (For a Film) », « Paranoid Android »), de Nick Drake ou des Beatles ont marqué les auditeurs de jazz et de rock, ouvrant des passerelles entre univers musicaux. Sa version de « Blackbird » (Beatles) condense tout son art : un phrasé mélancolique, un travail sur la résonance et une liberté rythmique qui transforment une chanson pop en méditation pianistique. Mais Mehldau est aussi compositeur. Ses suites (Elegiac Cycle, Highway Rider, Finding Gabriel) témoignent d’une ambition quasi symphonique. Finding Gabriel (2019), inspiré de lectures bibliques et marqué par une production moderne, révèle une facette mystique et expérimentale de son œuvre. Au-delà de la virtuosité, ce qui fascine chez Mehldau est l’impression d’une quête intérieure. Sa musique semble toujours chercher un point d’équilibre entre l’ombre et la lumière, entre une gravité existentielle et une joie fragile. Il y a chez lui une profondeur méditative, presque spirituelle, qui transcende les styles. Écouter Mehldau, c’est entrer dans un monde où la tradition jazz se marie à l’exigence classique, où l’improvisation devient une architecture, où la musique populaire s’élève à une intensité poétique rare. Pianiste de l’intime et du monumental, Mehldau est sans doute l’un des artistes qui auront le plus marqué l’histoire du piano jazz des trente dernières années.

 

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