Mirrormouth

Avec Mirrormouth, Branwen Kavanagh poursuit une quête artistique où la chanson devient un miroir. Après Hunted and Haunted (2019), plus brut et tellurique, ce nouvel album s’impose comme une œuvre de maturité, à la fois intime et métaphysique. Chaque morceau y agit comme une pièce d’un théâtre intérieur : un espace de reflets, de silences et de voix qui se répondent.

L’album s’ouvre sur Spindrift, lent déploiement de nappes et de voix suspendues, où Branwen semble invoquer des présences plus qu’elle ne chante. La texture sonore, fine et organique, évoque la brume maritime de sa côte natale : synthés vaporeux, percussions effleurées, guitares à peine égratignées. On y retrouve cette esthétique de l’indistinct qui lui est propre, entre folk onirique et ambient sculpté à la main.

Dans Morning Star, la voix se fait plus proche, presque murmurée. Branwen y explore la fragilité du lien, la manière dont l’autre nous renvoie notre propre image. Sa voix se dédouble, se brouille, se fond dans des harmonies incomplètes — un procédé récurrent dans l’album, qui traduit le thème du miroir : rien n’est jamais fixe, tout se reflète, se réfracte. Hare’s Breath et Bright Fires apportent une densité nouvelle. Ces titres, plus incarnés, rappellent par moments le lyrisme brisé de Lisa Gerrard ou les architectures vocales de Julia Holter, sans jamais les imiter. Branwen avance en funambule entre deux mondes : la chair et le rêve, la parole et le souffle. Les arrangements de Simon O’Reilly et le mixage subtil de Theo Passingham maintiennent cet équilibre : jamais démonstratifs, toujours au service d’un climat émotionnel très précis. La seconde moitié de l’album s’enfonce davantage dans la résonance. Catcher in the Rye surprend par son côté narratif, presque théâtral, où la voix devient personnage. Birch and Yew et Derelict clôturent le cycle dans une lente disparition : le son s’efface, la voix devient vent. Ici, l’expérimental se fond dans la mélancolie, sans provocation ni froideur.

Thématiquement, Mirrormouth est une méditation sur le reflet et la parole, inspirée d’un rêve où Tom Waits portait un miroir à la place de la bouche — une image fascinante, que Branwen transforme en métaphore du langage : parler, c’est refléter. Chaque chanson devient ainsi un fragment de miroir : brisé, inversé, mais toujours sincère. L’album tout entier se tient à distance des catégories. Ni folk, ni ambient, ni performance pure, Mirrormouth relève de l’art sonore poétique — celui où le corps et la voix deviennent instruments d’introspection. On y perçoit l’écho des terres celtiques, la pluie, le souffle de la mer, mais aussi une conscience aiguë de la modernité : celle du montage, de la résonance, du collage fragile. Dans un paysage musical saturé de productions lisses, Branwen offre un disque d’une intégrité rare, à la fois contemplatif et viscéral. Mirrormouth n’explique rien : il révèle. Et dans ce miroir tendu au silence, on se découvre soi-même, un instant, respirant au rythme d’une autre âme.

Favorites

Spindrift


Playlists

Poire sucrée

Suivant
Suivant

ONDA