Branwen Kavanagh

Il y a dans la musique de Branwen Kavanagh, connue simplement sous le nom de Branwen, une force ancienne et pourtant insaisissablement moderne : celle des voix qui traversent les mondes. Originaire de la côte ouest de l’Irlande, Branwen n’est pas seulement chanteuse ou compositrice ; elle est une artiste totale, où la performance, la poésie, la marionnette, la scène et le son s’entremêlent pour créer un univers rituel, presque chamanique. Sa présence sur scène tient du théâtre et du rêve : visages peints, objets mouvants, voix multiples qui semblent dialoguer à travers le temps et les éléments.

Formée en beaux-arts à la National College of Art & Design de Dublin, elle aborde la création comme une forme d’alchimie : transformer la matière du quotidien en symbole. Ses œuvres plastiques nourrissent sa musique ; ses chansons deviennent des tableaux habités. Cette porosité entre disciplines fait de Branwen une figure singulière au sein de la scène alternative irlandaise, à la croisée du folk expérimental, du rituel sonore et d’un surréalisme doux, volontiers dadaïste.

Son premier album, Hunted and Haunted (2019), ouvrait déjà cette voie : un mélange d’étrangeté et d’intimité, où les arrangements semblaient respirer autant qu’ils sonnaient. La voix de Branwen, souvent en avant, parfois filtrée comme un écho de téléphone ancien, évoquait la fragilité des souvenirs et la présence des fantômes familiers. Chaque morceau apparaissait comme un fragment de mémoire suspendue, porté par des instruments à cordes, des bruits d’eau, des frottements, des respirations. Rien de décoratif : tout est matière vivante.

Avec Mirrormouth (2025), Branwen signe une œuvre plus construite, mais tout aussi insaisissable. L’album se déploie comme un miroir aux facettes mouvantes, un espace de réflexions et de réfractions où l’on ne sait plus si l’on écoute ou si l’on est écouté. Inspiré d’un rêve où Tom Waits portait un miroir à la place de la bouche, le disque explore la relation entre soi et l’autre, entre le visage et sa projection, entre la parole et son écho. C’est un voyage intérieur ponctué de moments suspendus — Spindrift, Morning Star, Hare’s Breath — où la voix devient tantôt confession, tantôt incantation. Musicalement, Mirrormouth évoque parfois les univers d’artistes comme Joanna Newsom, Lisa Gerrard ou Julia Holter, mais avec un ancrage plus tellurique : les racines celtiques ne sont jamais loin, portées par des harmonies de harpe, de guitare acoustique, de percussions discrètes et de drones organiques. Branwen joue avec la lumière et l’ombre : ses chansons naissent souvent d’un murmure avant de se déployer en de vastes paysages sonores, oscillant entre douceur pastorale et tension électrique.

Au-delà de la musique, ce qui fascine chez Branwen, c’est la cohérence du geste. Tout dans son art – les visuels, les costumes, les textes, les sons – participe d’un même langage symbolique : celui de la transformation. Qu’il s’agisse d’une marionnette, d’un masque ou d’une voix dédoublée, chaque élément agit comme un miroir tendu au spectateur, lui renvoyant sa propre image, déformée, révélée. Dans une époque saturée de productions formatées, Branwen incarne un art rare, instinctif et total, qui renoue avec la tradition des conteurs et des rêveurs. Elle ne cherche pas à séduire mais à éveiller, à provoquer ce léger décalage où la beauté frôle l’inquiétude. Mirrormouth n’est pas un album qu’on écoute distraitement ; c’est une expérience d’immersion, une invitation à se perdre dans les reflets mouvants d’une conscience poétique.

 

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