Now

Quand Ten Years After réapparaît en 2004 avec l’album Now, le monde du rock a bien changé. Les années 2000 voient fleurir le renouveau du garage-rock avec les Strokes, les White Stripes et les Hives, tandis que le blues-rock, dont le groupe britannique fut l’un des pionniers, semble relégué aux marges ou dans les circuits de revival. Pourtant, Ten Years After refuse de n’être qu’un nom de musée : Now est une déclaration de vitalité, une manière d’affirmer que le groupe existe encore, avec de nouvelles chansons, une nouvelle énergie et une identité qui ne se réduit pas à la nostalgie de Woodstock ou aux solos flamboyants d’Alvin Lee. Car c’est bien là le premier défi : Now est le premier album studio de Ten Years After sans Alvin Lee, parti poursuivre sa carrière solo et qui restera toujours associé à la légende du groupe. À sa place, c’est Joe Gooch, jeune guitariste et chanteur, qui prend le relais. Pari risqué, mais réussi : sa voix claire, énergique, moins râpeuse que celle de Lee, apporte une fraîcheur bienvenue, tandis que son jeu de guitare, respectueux de la tradition blues-rock, s’autorise quelques envolées modernes. Ce choix audacieux permet d’éviter la pâle copie et de réinsuffler une nouvelle dynamique.

Transition

Musicalement, Now s’inscrit dans une continuité blues-rock très classique : riffs solides, structures couplet-refrain-couplet, solos bien intégrés et une section rythmique qui roule comme une machine bien huilée. Mais loin d’être une répétition sans âme, l’album propose une série de titres efficaces, parfois surprenants, qui témoignent de l’envie de créer et non seulement de recycler.

  • “When It All Falls Down”, qui ouvre l’album, est un morceau incisif, au riff musclé et au refrain accrocheur. Gooch y affirme immédiatement sa légitimité : on sent l’énergie live, brute et directe.

  • “Hundred Miles High” ralentit le tempo et installe une atmosphère plus sombre, presque hypnotique, comme un écho moderne aux expérimentations blues psychédéliques de la fin des années 60.

  • “Time to Kill” et “I’ll Make It Easy for You” rappellent l’efficacité rock’n’roll du groupe, avec un groove lourd mais fluide, porté par la basse de Leo Lyons et la batterie de Ric Lee, toujours impeccables.

  • Enfin, des titres comme “Reasons Why” ou “Changes” ajoutent une touche mélodique et plus introspective, preuve que Ten Years After ne se contente pas de répéter ses formules d’antan.

Entre héritage et modernité

Ce qui frappe dans Now, c’est le dosage entre fidélité au son originel du groupe et ouverture à un style plus contemporain. Ten Years After ne cherche pas à sonner comme un groupe de garage-rock des années 2000 ni à rivaliser avec les productions surcompressées de l’époque. Le son reste organique, proche du live, parfois rugueux, mais c’est justement ce qui fait sa force. La production ne gomme pas les aspérités : elle les met en avant, rappelant que le blues-rock est d’abord une musique de tripes et d’énergie, pas de perfection clinique. Joe Gooch, encore une fois, est la clef de voûte de cet équilibre. Sa voix et son jeu de guitare s’intègrent parfaitement, sans jamais donner l’impression d’imiter Alvin Lee, mais sans rompre non plus avec l’esprit du groupe. C’est un pari réussi : Now ne sonne pas comme un album “sans Alvin Lee”, mais comme un nouvel épisode de l’histoire de Ten Years After.

Renaissance

Évidemment, certains critiques ont souligné les limites de l’album : l’absence d’un véritable tube, une certaine homogénéité des compositions, et l’impossibilité d’atteindre l’aura mythique des grandes années (1967–1973). Mais faut-il juger Now à l’aune de Cricklewood Green ou de A Space in Time ? Ce serait passer à côté de ce que représente ce disque : non pas un chef-d’œuvre comparable aux sommets du passé, mais une renaissance crédible et honnête. Now prouve que Ten Years After n’était pas condamné à n’être qu’un groupe d’archives vivant sur son répertoire ancien. En choisissant de composer un album studio, plutôt que de se contenter d’une tournée nostalgique, le groupe affirme qu’il a encore quelque chose à dire. Et c’est sans doute la plus grande réussite de ce projet : montrer que l’esprit du blues-rock peut encore trouver sa place dans un monde musical en pleine mutation. Now est donc un album charnière : il ne bouleverse pas l’histoire du rock, mais il permet à Ten Years After de réaffirmer son existence et de montrer qu’au-delà du mythe Alvin Lee, il y a un groupe, une identité collective, une énergie partagée. Pour les amateurs de blues-rock classique, c’est une belle surprise, un disque solide et sincère, qui respire l’envie et la passion. Pour les sceptiques, il restera peut-être une curiosité, un témoignage de la capacité de musiciens vétérans à se réinventer. Quoi qu’il en soit, Now a la valeur d’un manifeste : Ten Years After n’est pas qu’un souvenir de Woodstock, mais une formation vivante, qui en 2004, a su démontrer que le blues-rock, même en marge des modes, pouvait encore brûler d’une flamme bien réelle.

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