Dead can dance

Peu de groupes dans l’histoire de la musique contemporaine auront autant brouillé les pistes esthétiques que Dead Can Dance, fondé au début des années 1980 par Lisa Gerrard et Brendan Perry. Originaires d’Australie mais rapidement installés à Londres, ils s’imposent d’abord dans le sillage de la mouvance post-punk et gothique. Pourtant, leur trajectoire va vite déborder ce cadre pour inventer un langage singulier : une musique qui traverse les continents et les siècles, puisant autant dans le grégorien que dans les rythmes arabes, le folk celtique, les percussions africaines ou les sonorités électroniques naissantes.

L’un des traits les plus marquants du groupe est l’alchimie entre les deux voix fondatrices. Celle de Lisa Gerrard, ample, incantatoire, souvent chantée dans une langue inventée – proche du glossolalique –, confère à leurs morceaux une dimension sacrée, presque liturgique. Brendan Perry, lui, apporte un timbre grave et terrien, plus narratif, qui ancre la musique dans un lyrisme sombre. Ce contraste devient la matrice de Dead Can Dance : la tension entre l’éthéré et le charnel, le spirituel et le profane, l’archaïque et le moderne.

À travers des albums comme Within the Realm of a Dying Sun (1987), The Serpent’s Egg (1988) ou Aion (1990), le groupe forge une identité qui n’appartient ni totalement au rock, ni à la world music, ni à la musique savante. Chacun de leurs disques fonctionne comme une traversée : on y entend résonner des chœurs byzantins, des instruments médiévaux, mais aussi des arrangements électroniques subtils. C’est un art de la fusion qui ne cherche jamais la facilité de l’exotisme : il s’agit plutôt de convoquer des mémoires musicales enfouies pour les faire dialoguer dans un présent intemporel.

Leur influence s’avère considérable. Dead Can Dance a ouvert une voie à toute une génération d’artistes oscillant entre darkwave, ambient et musiques traditionnelles revisitées. Leur esthétique a irrigué autant le cinéma (nombre de réalisateurs, de Michael Mann à Peter Weir, ont utilisé leurs morceaux) que les musiques actuelles, où l’on retrouve leur empreinte dans l’ambient moderne ou certains projets néo-classiques.

Critiquement, on peut leur reprocher une tendance à l’emphase, voire à la grandiloquence, surtout dans les moments où la théâtralité prend le dessus sur la sobriété. Mais cette démesure fait aussi partie de leur force : Dead Can Dance ne craint pas le sublime, ni l’idée que la musique puisse toucher à une forme de transcendance. Là où beaucoup de formations gothiques se sont enfermées dans des codes esthétiques figés, Gerrard et Perry ont su garder une liberté créatrice constante, quitte à s’éloigner des formats attendus.

Leur long silence après les années 1990, suivi de retrouvailles épisodiques au XXIe siècle (notamment l’album Anastasis en 2012 et une tournée en 2019), montre la difficulté à prolonger un tel héritage sans le figer. Pourtant, chaque réapparition rappelle l’intensité intacte de leur univers sonore, capable de captiver un public transgénérationnel.

En définitive, Dead Can Dance reste une formation inclassable, dont la valeur critique tient autant à la richesse musicale qu’à la dimension existentielle de leur démarche. Leur œuvre interroge la place de l’humain face au sacré, au temps, aux civilisations passées. Écouter Dead Can Dance, c’est accepter une expérience : celle d’un voyage intérieur où la musique devient une passerelle entre les cultures et les époques. Un groupe culte, au sens plein du terme : celui qui rassemble, qui fascine, et qui persiste dans l’imaginaire bien au-delà de ses propres disques.

 

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Carla Bley