Chopin - Winner of the 19th International Fryderyk Chopin Piano Competition Warsaw 2025

Il y a des disques qui témoignent d’une victoire ; et d’autres, plus rares, qui racontent une métamorphose. Ce nouvel album d’Éric Lu — capté en public pendant le Concours Chopin 2025 dont il sort lauréat — appartient résolument à la seconde catégorie. On y entend moins un jeune pianiste confirmar son rang qu’un artiste déjà maître de sa voix : un subtil mélange de pudeur, de clarté et d’élan intérieur, où chaque note semble choisie pour sa nécessité et non pour son effet.

Depuis sa percée à Leeds en 2018, on savait Lu sensible aux zones crépusculaires de Chopin, à cette “respiration morale” chère à Perahia ou à Pires. Mais rien ne préparait tout à fait à la profondeur que révèle cet enregistrement live. Dès les premières mesures de la Valse op. 64/2, l’auditeur est frappé par la simplicité lumineuse du phrasé, par cette manière de laisser les lignes émerger presque spontanément, comme si elles se souvenaient d’elles-mêmes. Pas de rubato exagéré, pas d’émotions soulignées : seulement un tact infaillible, une politesse du sentiment.

Le disque atteint son premier sommet avec le Nocturne op. 27/1, domaine où tant d’interprètes tombent dans la mièvrerie. Lu y déploie un art souverain du silence. Le tempo se suspend sans jamais se dissoudre, les ombres harmoniques respirent, la mélodie semble flotter au-dessus d’un territoire fragile. On pense à Lupu pour la densité du son, à Pires pour la pureté de la ligne — mais Lu reste incontestablement lui-même : un musicien pour qui la profondeur n’a pas besoin de volume.

Les Mazurkas op. 56 révèlent un autre versant de son art : un sens inné de la danse, jamais caricatural, toujours équilibré entre l’intime et le populaire. Les accentuations sont discrètes mais parfaitement pesées ; les changements d’humeur, saisis avec naturel. On retrouve cette manière de faire respirer les transitions, de les laisser devenir organicité plutôt qu’effet scénique.

La Barcarolle op. 60, pièce redoutable par son architecture et sa densité, est peut-être la page la plus révélatrice du disque. Lu y privilégie la continuité du flux plutôt que la démonstration. La montée vers le climax, toujours périlleuse, atteint ici une ampleur lyrique sans jamais perdre la transparence du détail. Le geste est noble, l’émotion tenue, jamais surexposée.

Quant à la Sonate n°2, souvent transformée en arène de puissance, Lu en propose une lecture d’une gravité presque schubertienne. Le premier mouvement frappe par son absence de dureté : tout est construit sur la respiration, sur la tension interne plutôt que sur la projection. Le célèbre Marche funèbre évite toute pompe ; il avance, inexorable, avec une tristesse nue qui semble venir de loin. Le Finale, murmuré, s’évapore comme un principe métaphysique : non une démonstration de virtuosité, mais l’expression d’un monde qui se dissout.

Ce qui impressionne le plus, peut-être, c’est l’unité de l’ensemble. Malgré la diversité des épreuves du concours, malgré la captation live, on entend un même geste artistique, une même cohérence — celle d’un pianiste pour qui le beau n’est jamais décoratif, mais une forme d’exactitude intérieure. Loin de la recherche de l’impact, Lu cultive la nuance, l’ombre, les respirations longues, un classicisme irradiant qui rappelle les plus grands. Avec ce disque, Éric Lu ne se contente pas de gagner le Concours Chopin : il en redéfinit les contours. Il rappelle que Chopin, joué sans excès, sans pathos ni virtuosité gratuite, peut retrouver sa vérité essentielle : une musique de l’intime, de la fragilité, de la pressante humanité. Winner of the XIX Chopin Competition n’est pas seulement un album de concours ; c’est un portrait d’artiste au moment exact où sa voix s’affirme. Un jalon essentiel pour comprendre ce que le piano peut encore dire aujourd’hui.

Favorites

Waltz No. 7 in C-Sharp Minor, Op. 64 No. 2

Nocturne No. 7 in C-Sharp Minor, Op. 27 No. 1

Barcarolle in F-Sharp Major, Op. 60

Piano Sonata No. 2 in B-Flat Minor, Op. 35


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