Deuxième Mouvement
Avec Deuxième Mouvement, Quentin Ghomari retrouve ses complices habituels — Yoni Zelnik (contrebasse) et Antoine Paganotti (batterie) — pour une exploration renouvelée du trio sans piano. Le disque paraît comme une maturation : non pas une simple suite du projet Ôtrium initial, mais une réécriture des équilibres, une attention renforcée au geste, à l’espace et au souffle.
Structure
L’album compte 11 titres : The Peacocks, Jehol, Rouli-roulant, Blues to Gil, Relaxin’ at Camarillo, Tea Time, You’re Blasé, La Vouivre, Iguazú, Mamie in the Sky, La Part des Songes. On passe d’instants méditatifs (La Part des Songes) à des morceaux aux respirations plus vives (Rouli-roulant), en passant par des plages intermédiaires pleines de suspension (Iguazú, Mamie in the Sky). Le choix de ces titres — à la fois suggestifs et évocateurs — donne le cadre d’un voyage dans des paysages intérieurs, un amalgame de poésie, de mouvement et de rêverie. La direction globale penche vers la nuance : ce n’est pas la hiérarchie des solistes qui domine, mais l’entrelacement des voix instrumentales, la gestuelle collective, l’écoute mutuelle.
Force du trio
Dans ce contexte, Ghomari joue avec davantage de liberté mélodique. Sa trompette — toujours épurée — explore des motifs courts, des phrases fragiles, des retours sur des motifs, des intervalles mis en valeur par les silences. Il est moins dans le « tour de force » que dans la suggestion. Zelnik, à la contrebasse, assume plus que jamais la fonction de charpente : non seulement la ligne de basse, mais aussi la densité harmonique latente. Sans instrument harmonique (piano ou guitare), il doit « tenir l’espace », suggérer des tonalités, des couleurs, tout en restant souple. Son jeu discrètement modulateur soutient et module la pulsation du trio. Paganotti, pour sa part, affine son jeu minimaliste : on retrouve son goût pour le « silence actif », l’impulsion discrète, les frappes mesurées, les motifs rythmiques esquissés plutôt que martelés. Il n’est jamais « accompagnateur neutre » : il propose des respirations, des ponctuations, des poussées qui soulignent les moments de tension.
Esthétique
Ce qui marque dans Deuxième Mouvement, c’est sa cohérence : malgré la variété des titres, l’album semble tenir d’un même souffle. On reconnaît l’oreille du trio : des choix de tempo modérés, des respirations, des allers-retours entre silence et légers accents, des transitions souvent très naturelles.L’ambition majeure de l’album est de capter l’instant présent — le geste, le souffle, l’espace — plutôt que de chercher à construire des “pièces spectaculaires”. Le mixage transparent met en valeur la matière acoustique (cordes, baguettes, corps de trompette). Le spectateur/auditeur est invité à écouter finement, à percevoir les inflexions plutôt que le spectaculaire. Si l’album n’est pas sans défis : dans des titres plus courts comme La Vouivre (2 min) ou Blues to Gil, certaines idées peuvent rester en suspens, trop esquissées. Parfois on aimerait un peu plus d’ampleur dans les développements ou un contraste plus radical. Mais c’est exactement ce parti pris — le quasiment “non-dit” — qui est la force d’Ôtrium : choisir de laisser l’espace au silence, à l’approximation, au souffle.
Deuxième Mouvement est un disque de maturité pour Ôtrium : il approfondit ce que le trio avait esquissé, en affirmant une économie, une poésie de l’instant, une cohésion intérieure. Ce n’est pas un album “facile” : il exige de l’écoute, de la patience, de la présence. Mais ceux qui accepteront ce pacte en sortiront enrichis : peu d’albums offrent aussi peu pour provoquer autant — une musique qui respire, qui murmure, qui habite.
Favorites
The Peacocks