Live at the blues warehouse
Dans un monde où le blues-rock est souvent dilué, l’album Live at the Blues Warehouse de Guitar Pete agit comme un rappel salutaire : celui d’un blues électrique vécu de l’intérieur, sans filtre ni pose. Enregistré sur une petite scène new-yorkaise, cet album respire la sueur, la chaleur des amplis et le frottement du métal sur les cordes. C’est un disque brut, dense, où Pete Brasino affirme son tempérament d’homme de scène, fidèle à l’esprit du blues urbain, mais nourri par la déflagration sonore du hard rock des seventies.
Dès l’introduction, « Turning Off », le ton est donné : guitare saturée, rythmique serrée, tension continue. Ce n’est pas un simple échauffement, mais une déclaration d’intention. Pete ne cherche pas la pureté, il cherche le grain, l’énergie qui naît de la friction. Son phrasé est lourd, volontaire, porté par une main droite inlassable, tandis que sa voix râpeuse creuse la matière du chant. Derrière lui, Allan Korenstein (claviers), Mitch Haft (basse) et Anthony Bernardo (batterie) forment un trio solide, un mur vivant où la moindre déflagration de guitare trouve un écho.
Le second titre, « Cold Shot », emprunté à Stevie Ray Vaughan, confirme la filiation : même tension contenue, même art de laisser respirer le groove. Mais Guitar Pete n’imite jamais — il traduit. Là où Vaughan injectait la virtuosité texane, Brasino apporte une rudesse nord-est, un accent new-yorkais, presque industriel. Le son est plus sale, plus rugueux, mais aussi plus sincère. Chaque note semble venir du corps, non de la technique.
La montée en intensité se poursuit avec « You Shook Me », reprise du classique popularisé par Led Zeppelin et Jeff Beck. C’est ici que le disque prend toute sa dimension live : le chant se fait rauque, la guitare déploie ses harmoniques brûlantes, et la salle devient un prolongement de l’ampli. Pete joue avec la tradition comme avec un matériau vivant ; son blues n’est pas une reconstitution, c’est une explosion d’instinct. La tension s’accumule, se libère, puis retombe comme un cri exorcisé.
Vient ensuite « Going Down », souvent associé à Freddie King : tempo rapide, riffs tranchants, solos qui coupent net avant de repartir. C’est la section rythmique qui brille ici, dense, précise, martelée comme un moteur d’usine. Le groupe joue soudé, sans calcul ; c’est une musique qui se vit en temps réel, une improvisation disciplinée. La performance n’a rien d’un exercice de style : elle dégage cette spontanéité qu’on ne trouve que sur scène, dans la tension entre le risque et la maîtrise.
Mais c’est sur la double conclusion « Hey Joe » et « Voodoo Child » que Guitar Pete atteint son sommet. S’attaquer à Hendrix, c’est marcher sur une corde raide. Pete y va frontalement, sans crainte, et réussit à imposer sa propre lecture : un blues de l’urgence, chargé d’une colère sourde. « Hey Joe » devient ici un drame électrique, où chaque note semble peser une tonne. Quant à « Voodoo Child », elle se transforme en longue transe incandescente, hommage autant qu’exorcisme : Pete tire de sa guitare un cri, une vibration presque spirituelle. C’est là que l’on mesure ce qu’il a d’unique : ce refus du détachement, cette manière de tout mettre sur la table, sans réserve ni ironie.
Live at the Blues Warehouse n’est pas un album parfait mais c’est un instantané d’authenticité. On y entend les micros saturer, les cordes gémir, la voix s’érailler. Rien n’est poli, et c’est précisément ce qui le rend si vivant. Guitar Pete n’a pas besoin de production luxueuse : il a le feu intérieur. Dans une époque où le blues se contente souvent de recycler ses légendes, lui le rejoue comme on rejoue sa propre vie : avec fatigue, ferveur et vérité. Un témoignage rare, enregistré dans un club ordinaire, mais habité par une intensité peu commune.
Favorites
Intro / Turnong Off
You shook me
Going Down
Voodoo Child