Restriction

Après deux albums sortis coup sur coup en 1970 et début 1971 : Cactus et One Way… or Another, le quatuor américain enregistre déjà son troisième disque : Restrictions. L’album paraît à l’automne 1971 et s’inscrit dans la continuité d’un groupe à la créativité fulgurante, mais aussi sous tension. Il montre un Cactus toujours énergique, mais qui cherche à élargir son vocabulaire musical, tout en conservant l’impact frontal qui a fait sa réputation. Le disque s’ouvre sur Restrictions, morceau-titre qui synthétise le son Cactus : riffs lourds, voix éraillée de Rusty Day, section rythmique Bogert-Appice en état de siège. C’est un blues-rock durci, parfois presque métallique, qui laisse peu de répit. Le groupe n’a rien perdu de sa fougue, mais la composition laisse entrevoir un souci plus affirmé de structure et de mise en scène sonore.

Blues et heavy rock

L’album alterne entre morceaux directs et longues plages plus ambitieuses. Token Chokin’ est un titre nerveux et concis, qui illustre la capacité du groupe à enflammer en trois minutes à peine. Evil, reprise d’Howlin’ Wolf, constitue l’un des sommets de l’album : un blues profond, transformé en incantation rugueuse et sombre. La voix de Day y atteint une intensité presque chamanique, tandis que McCarty déploie une guitare à la fois tranchante et moite, saturée de feeling. Avec Alaska, le groupe surprend : une ballade blues-rock plus nuancée, où l’on sent une volonté de sortir de la simple démonstration de force. Mais c’est Guiltless Glider, longue pièce instrumentale de plus de huit minutes, qui attire l’attention : véritable jam hard-blues, elle met en avant la virtuosité des musiciens et témoigne du goût du groupe pour l’improvisation scénique, transposée ici en studio.

Puissance

Ce qui frappe à l’écoute de Restrictions, c’est la cohésion du quatuor. Appice et Bogert imposent une section rythmique massive, probablement l’une des plus solides de l’époque américaine. Rusty Day chante comme s’il jouait sa vie à chaque phrase, dégageant une intensité qui rappelle les grandes voix du blues électrique. Et McCarty, trop souvent oublié dans l’histoire de la guitare rock, déploie un jeu féroce, oscillant entre riffs implacables et solos abrasifs. Restrictions est peut-être moins immédiatement accrocheur que One Way… or Another, mais il montre un groupe qui atteint sa maturité, tout en annonçant ses fissures à venir. Les tensions internes, l’épuisement et les excès minent déjà la stabilité de Cactus, et cet album sera le dernier avec Rusty Day au chant. Pourtant, il reste une pièce essentielle : témoignage d’un moment où le blues rock américain flirtait avec le heavy naissant.

Avec Restrictions, Cactus livre un disque plus sombre, plus dense et plus réfléchi que ses prédécesseurs, sans rien perdre de sa puissance animale. S’il marque la fin d’une époque pour le groupe, il constitue aussi l’un de leurs sommets artistiques. Pour qui veut comprendre l’évolution du hard-blues américain au tournant des années 70, Restrictions demeure un jalon incontournable, un concentré de rage et de virtuosité brute.

Favorites

Guiltless Guitar

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