Vivaldi : The Four Seasons
Nigel Kennedy
enregistré avec le English Chamber Orchestra
Il y a des disques qui bousculent une époque. Celui de Nigel Kennedy, enregistré en 1989 avec l’English Chamber Orchestra, appartient à cette catégorie rare où la virtuosité, l’insolence et la sincérité se confondent. On parlait alors d’un jeune violoniste britannique à la coupe punk, formé chez Menuhin et Dorothy DeLay, capable de citer Hendrix autant que Bach. En revisitant Vivaldi, il signait un manifeste : la musique baroque pouvait être à la fois érudite et sauvage, libre et populaire, virtuose sans corset.
Dès les premières mesures du Printemps, le ton est donné. L’archet claque, les contrastes fusent, les tempi oscillent entre frénésie et suspension. Kennedy dirige du violon, impose un discours de soliste-chef où chaque reprise devient un geste théâtral. Les pizzicati du Largo sont des gouttes d’eau audibles comme sous un microscope ; les orages du L’Été atteignent une intensité que peu d’ensembles “authentiques” avaient osé à l’époque. L’enregistrement EMI, d’une proximité presque physique, accentue encore cette impression de tempête contrôlée : on perçoit la respiration des musiciens, les crins de l’archet, la chaleur de la salle.
Cette approche, qu’on qualifierait aujourd’hui de “néo-baroque romantique”, refuse les codes de l’interprétation historiquement informée qui commençait à s’imposer. Kennedy joue sur un instrument moderne, avec un vibrato expressif, mais il emprunte aux baroqueux leur goût de la liberté rythmique, des attaques nettes, du contraste. Ce mélange de modernité et d’instinct crée une tension inédite : ni baroque, ni romantique, mais profondément personnelle. Loin d’un exercice de style, c’est un récit à la première personne.
L’Automne illustre parfaitement cette fusion : les danses paysannes deviennent presque un hoedown anglais, pleines d’allant, tandis que la chasse finale prend des accents de film d’action. Dans L’Hiver, Kennedy ralentit volontairement le mouvement central, creusant les phrases comme un chanteur de blues ; la neige devient contemplation. On sent derrière chaque note la conviction qu’un classique n’existe que s’il est rejoué avec risque, quitte à heurter le bon goût.
Au-delà du spectaculaire, ce disque demeure d’une cohérence exemplaire. L’English Chamber Orchestra, souple et précis, suit sans faillir les sauts d’humeur du violoniste. Le dialogue entre les pupitres et le soliste garde une lisibilité rare malgré la densité sonore. L’équilibre entre fougue et articulation, entre lyrisme et sécheresse, donne à l’ensemble une vitalité presque théâtrale : on ne “joue” pas les saisons, on les vit.
Trente-cinq ans plus tard, cette lecture reste un jalon. Non parce qu’elle serait la plus fidèle, mais parce qu’elle a rouvert la porte du baroque au grand public : plus de deux millions d’exemplaires vendus, une visibilité médiatique inédite pour un concerto du XVIIIᵉ siècle, et une génération d’auditeurs qui ont découvert Vivaldi à travers ce cri de liberté. Certains y verront une outrance, d’autres une révélation ; les deux ont raison. Kennedy y expose la tension fondamentale entre respect du texte et urgence de l’expression — ce qui, après tout, est la définition même de la musique vivante.
Favorites
Concerto pour violon n°1 en E majeur, Op.8 N°1 Printemps I : Allegro
Concerto pour violon n°2 en G mineur, Op.8 N°3 Eté III : Presto
Concerto pour violon n°3 en F majeur, Op.8 N°3 Automne I : Allegro
Concerto pour violon n°4 en F mineur, Op.8 N°1 Hiver I : Allegro non molto