Bryan Lee

“Braille Blues Daddy”

Parmi les figures discrètes mais essentielles du blues moderne, Bryan Lee occupe une place singulière : celle d’un musicien profondément enraciné dans la tradition, mais qui a su faire entendre une voix immédiatement identifiable, entre ferveur du gospel, rugosité du Chicago blues et intensité du rhythm’n’blues louisianais. Né en 1943 à Two Rivers, Wisconsin, Bryan Lee perd la vue à l’âge de sept ans ; c’est par la radio, en écoutant les stations de Chicago, qu’il découvre Muddy Waters, Elmore James, Guitar Slim, B.B. King. Cette éducation “par les ondes” façonne une oreille hyper-attentive et une obsession pour le son : les attaques, les timbres, les tensions harmoniques. Beaucoup de critiques remarqueront d’ailleurs que sa guitare semble “parler” davantage que chanter — une prolongation de la voix intérieure d’un musicien qui a grandi dans l’écoute totale.

Du Midwest au couronnement à Bourbon Street

Dans les années 1960-70, Bryan Lee fait ses armes dans les clubs du Midwest, ouvrant notamment pour Jimi Hendrix qui le saluera pour son jeu incandescent. Mais c’est à La Nouvelle-Orléans, où il s’installe en 1982, que sa carrière prend sa véritable dimension. Pendant plus de quatorze ans, il devient l’une des institution locales de Bourbon Street, à la tête des Jump Street Five : une résidence qui attire les amateurs, les musiciens et les noctambules, fascinés par ce musicien blanc du Nord qui joue le blues avec l’âme et la dévotion d’un natif du Mississippi Delta. Cette période marque son style : un mélange de shuffle lourd, d’élans funk, de guitare électrique au vibrato large, et une énergie scénique presque prêcheuse. Là où d’autres bluesmen deviennent folkloriques, Lee reste viscéral : son blues est plein de sueur, d’amour et de spiritualité. On le surnomme alors “Braille Blues Daddy”, sobriquet qu’il assume avec humour et fierté.

Fidèle au blues

Sa discographie — plus de vingt albums, dont plusieurs sur le label Justin Time — révèle un musicien d’une remarquable constance. Parmi les plus marquants :

  • Braille Blues Daddy (1995) : un manifeste, où l’on saisit toute la puissance de son jeu.

  • Live at the Old Absinthe House (1997–1998) : deux volumes essentiels, pure énergie Bourbon Street.

  • Katrina Was Her Name (2007) : un disque hommage à la ville meurtrie, poignant et profondément humain.

  • My Lady Don’t Love My Lady (2010) : un album où revient son amour du R&B et des cuivres.

  • Sanctuary (2020) : son dernier enregistrement, plus spirituel, blues épuré, chant crépusculaire.

Loin de la virtuosité démonstrative, Bryan Lee pratique un jeu d’épure : phrasé direct, chorus très chantants, attaques robustes mais jamais brutales. Son sens du placement — souvent légèrement en retrait du temps — donne à son blues une tension immédiatement reconnaissable. Ses solos racontent quelque chose, sans bavure ni gratuité. C’est du blues pensé, senti, vécu. Sa proximité avec les figures de la scène louisianaise, mais aussi avec des musiciens plus jeunes comme Kenny Wayne Shepherd, qui l’invite sur l’album 10 Days Out, confirme son statut de passeur. Lee devient un mentor pour toute une génération de guitaristes fascinés par son feu intérieur et sa rigueur stylistique. Il n’a jamais recherché la célébrité : il a préféré les clubs, les jams, les salles chaudes où le contact avec le public reste direct.

Si sa notoriété internationale est restée modeste, Bryan Lee appartient à ces artistes qui maintiennent le blues vivant plutôt que “patrimonial”. Son œuvre respire l’authenticité : pas de concept, pas de posture, mais une musique habitée, ancrée dans l’expérience et la foi. Pour les amateurs, c’est un modèle de probité musicale. Pour les musiciens, un maître du groove, de la sincérité, du récit.

 

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