Francesco Tristano
Il est de ces musiciens qui refusent de choisir, qui refusent les frontières et qui, au contraire, trouvent dans l’entre-deux un territoire fertile. Francesco Tristano, pianiste luxembourgeois né en 1981, appartient à cette famille d’artistes pour qui le répertoire classique, le jazz et la techno ne s’opposent pas mais se nourrissent mutuellement. Formé dans les grandes écoles – Luxembourg, Paris, New York – il s’est imposé très jeune comme interprète brillant de Bach, Frescobaldi ou Ravel. Mais ce qui frappe chez lui, c’est la manière de réinventer ce patrimoine, de l’aborder avec une liberté rythmique et une énergie qui rappellent l’improvisation jazz. À la tête des New Bach Players, il a donné à la musique baroque une vitalité quasi physique, loin des musées.
Cette ouverture se prolonge naturellement dans l’univers électronique. Tristano ne s’est jamais contenté d’écouter de la techno : il en est devenu acteur à part entière, travaillant avec des figures emblématiques de Detroit comme Derrick May ou Carl Craig, collaborant aussi avec Moritz von Oswald. Sur des labels comme Infiné ou Get Physical Music, il a façonné des albums hybrides – Not for Piano, Idiosynkrasia, Surface Tension – où le piano résonne au milieu de nappes synthétiques, de pulsations électroniques et de textures expérimentales. Son geste reste cependant toujours celui d’un pianiste classique : précision, articulation, clarté. Mais le cadre change, et le piano devient instrument de club autant que de concert.
Ce qui fait la singularité de Francesco Tristano, c’est sans doute cette double légitimité. Devant un clavecin de Bach ou dans un studio berlinois, il garde la même exigence, la même curiosité. Son disque bachCage, où se répondent Jean-Sébastien Bach et John Cage, illustre parfaitement ce goût pour les dialogues inattendus. Plus récemment, avec Tokyo Stories, il a donné une œuvre cinématographique, contemplative, inspirée par ses séjours au Japon. On pourrait croire à une dispersion ; c’est au contraire une cohérence profonde, une recherche obstinée : comment relier hier et aujourd’hui, tradition et innovation, Europe et Detroit, salle de concert et dancefloor ? Tristano ne répond pas par des manifestes mais par le son, en faisant du piano une passerelle. C’est ce qui en fait l’une des voix les plus singulières et stimulantes de la scène musicale actuelle.